Ressources - Les Sept péchés capitaux
Présentation
1933, le monde bascule : Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. En cette année noire où les Nazis brûlent les livres, Bertolt Brecht, exilé, écrit un seul texte : Les Sept Péchés capitaux des petits bourgeois. Un texte insolent, grinçant et courageux où il dénonce la bourgeoisie et le clergé s’agenouillant devant la loi du plus fort.
Dans ce spectacle alliant musique, chant, danse et vidéo, une sorte de road movie dont l’esthétique évoque David Lynch, défilent les images d’une Amérique fantasmée. Le metteur en scène Jacques Osinski questionne ce que nous sommes prêts à compromettre pour accéder à nos rêves aujourd'hui. Exilé comme Brecht, Kurt Weill signe une partition en sept mouvements comme autant de péchés, intégrant valse, fox-trot, marche et tarentelle, interprétée par l'Orchestre National de Bretagne dirigé par Benjamin Levy.
Kurt Weill est né en 1900, à Dessau, en Allemagne. Fils d’Emma Ackermann et d’Albert Weill, Kurt Weill est issu d’une famille juive. Son père est une figure importante de la communauté juive locale, il est cantor (chantre) à la synagogue de Dessau. Il est aussi compositeur, essentiellement de musique liturgique.
Kurt Weill commence le piano dès l’âge de 5 ans. Rapidement, il montre un talent précoce pour la composition. De 1915 à 1918, il suit les leçons de piano, d’harmonie, de composition et d’orchestration d’Albert Bing, chef assistant au théâtre de la cour de Dassau. Il poursuit ses études à Berlin avec Engelbert Humperdinck. En 1918, il intègre l'École supérieure de musique de Berlin.Il y suit l’enseignement de Ferruccio Busoni, un enseignement déterminant dans sa construction artistique. Cette période aura une grande influence sur les créations futures de Weill et particulièrement son esthétique de l’opéra. Il commence à composer ces premières œuvres instrumentales de style opéra en tant qu'élève de Ferruccio Busoni de 1921 à 1924. Ces premiers projets d'opéra sont composés à partir de 1925 en compagnie des écrivains Georg Kaiser et Yvan Goll. On peut citer notamment Der Protagonnist et Royal Palace, opéra dans lequel on peut voir émerger son style personnel inspiré du jazz. Une influence qu'il continue d'affiner dans l'opéra L'Opéra de quat'sous en 1928.
La rencontre entre Kurt Weill et l'écrivain dramaturge Bertolt Brecht va être déterminant dans l'art du compositeur. Ils créent ensemble Le Chant de Mahagonny en 1927 qui fera scandale au festival Baden-Baden pour sa critique métaphorique de l'Allemagne de l'époque. Un opéra qui sera un franc succès lors de ces représentations en France.
Face à la montée du nazisme, Kurt Weill va se réfugier en France en 1933. Ses œuvres ne sont plus jouées en Allemagne et brûlées lors d'un autodafé. Il continue de composer, notamment pour le ballet. C'est cette même année que le ballet Les sept péchés capitaux est créé par Kurt Weill sur un argument de Brecht, au Théâtre des Champs-Élysées à Paris.
En 1935, Kurt Weill émigre aux États-Unis où il trouve un nouveau terrain fertile pour sa créativité. Parmi ses œuvres américaines les plus notables figurent "Knickerbocker Holiday" (1938), "Lady in the Dark" (1941), et "One Touch of Venus" (1943). Weill a continué à explorer des thèmes sociaux et politiques dans ses œuvres, tout en intégrant des éléments du jazz et de la musique populaire américaine.
Kurt Weill meurt en 1950 à New York, laissant derrière lui un héritage impressionnant. Sa capacité à fusionner différents styles musicaux et à traiter des sujets sociaux et politiques avec profondeur et acuité a fait de lui l'un des compositeurs les plus innovants et importants du XXe siècle.
Extraits
- Kurt Weill : Le Requiem Berlinois
- Kurt Weill : Speak Low (Lady in the Dark) Véronique Gens
Pour aller plus loin
- Kurt Weill aurait 120 ans, Radio France
- Kurt Weil, Youkali, Radio France
Bertolt Brecht, le libretiste
Bertolt Brecht est né en 1898 à Augsbourg, en Allemagne. Issu d’une famille bourgeoise, il reçoit une bonne éducation et commence à écrire très tôt. Son premier texte connu est publié en 1914. Il entreprend d’abord des études de philosophie, puis de médecine à Munich.
En 1918, il est mobilisé pour la fin de la Première Guerre mondiale en tant qu’infirmier, une expérience qui marquera profondément l’homme et son art. La même année, il écrit sa première pièce, Baal, dans un style libertaire et lyrique. Un style qu’il abandonnera rapidement par la suite.
À partir de là, ses pièces s'enchaînent, notamment Tambours dans la nuit (1920) et Dans la jungle des villes (1922). En 1930 Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny suscitent de vivespolémiques. Dans cet opéra, les techniques du théâtre épiques sont appliqués. Ainsi, Brecht remet en question les formes de l’opéra classique, affirmant l’importance de la fonction idéologique de ce dernier. Cette œuvre métaphore du capitalisme, illustre comment celui-ci s’est imposé facilement et comment il peut s’autodétruire.
En 1928, la création de L'Opéra de quat'sous en collaboration avec Kurt Weill est un grand succès, et lui assure une renommée internationale.
Parallèlement à ces activités d'écriture, il s'intéresse au marxisme et est acquis aux idées de Karl Marx. Ainsi, face à la montée du nazisme dans les années 1930, il quitte l’Allemagne pour le Danemark, puis la Suède et la Finlande. Ses pièces de théâtre sont alors interdites en Allemagne, puis brûlées lors des autodafés. C’est dans ce contexte, qu’il signe l’argument du ballet les 7 péchés capitaux composé par Kurt Weill en 1933.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Brecht part pour les États-Unis où il continue d’écrire et de produire des pièces. Toutefois, avec l’essor du maccarthysme, il quitte le pays pour la Suisse, avant de finalement arriver en République Démocratique Allemande (Allemagne de l’Est) où il s’installe définitivement. Là, avec son épouse Helene Weigel, il fonde le Berliner Ensemble, un théâtre où il approfondi sa recherche sur le théâtre épique et la distanciation. Sa méthode de "distanciation" vise à empêcher le public de s'identifier émotionnellement aux personnages, favorisant ainsi une réflexion critique sur les thèmes abordés. En 1953, il apporte son soutien aux insurrections populaires et ouvrières en RDA.
Il s’éteint en 1956, laissant derrière lui près d’une trentaine de pièces de théâtre. Bertolt Brecht a non seulement révolutionné le théâtre avec ses idées novatrices, mais il a également influencé de nombreux écrivains, metteurs en scène et penseurs du monde entier. Son œuvre continue d'être étudiée et jouée, attestant de son impact durable sur la littérature et le théâtre modernes.
Les sept péchés capitaux, origines
Œuvre commandée par le poète anglais Edward James en 1933, Les sept péchés capitaux (Die sieben Totsünden en allemand) est une œuvre de ballet chanté satirique composé par Kurt Weill, chorégraphié et produit par George Balanchine et dont le livret est écrit par Bertolt Brecht. Les rôles principaux ont été écrit pour la cantatrice Lotte Lenya, la femme de Weil et la danseuse de ballet Tilly Losch la femme d'Edward James dont la ressemblance physique a inspiré le rôle d'Anna et de son alter ego. Ce songspiel mêle l'opéra et ballet ainsi que plusieurs styles de danse, dont la valse, le foxtrot ou la tarentelle. On retrouve dans la musique composée par Weill une influence jazzy et cabaret comme pour ses œuvres précédentes.
Les sept péchés capitaux est composé en 7 tableaux, d'un prologue et d'un épilogue. Il raconte l'histoire d'une jeune Américaine nommée Anna dans les 30 dont on suit le parcours de réussite à travers 7 villes portant chacune le nom d'un péché mortel. L'œuvre est une représentation satirique de la société incarnée par Anna (Anna I) et son alter ego (Anna II) qui va succomber aux péchés pour accéder à la réussite.
Actes :
· Prologue
· La Paresse
· L'Orgueil
· La Colère
· La Gourmandise
· La Luxure
· L'Avarice
· L'Envie
· Épilogue
Pistes de réflexion
L'art au service des régimes totalitaires
Dans tout régime totalitaire, une volonté de contrôle total des populations est souhaitée via une idéologie d'Etat. Cela passe par le contrôle des manifestations de liberté individuelle, contrôle de la liberté de parole, de penser et de la création artistique.
Ce contrôle de la création artistique permet de soutenir l'idéologie promulguée par le régime en place. Il prend différentes formes, en voici quelques exemples :
- Construction d'un musée de « l'art allemand » à Munich, Haus der deutschen Kunst, entre 1933 et 1937. La première exposition, qui tournera ensuite dans tout le pays, est consacrée à cet « art allemand » mis en opposition avec l'art moderne, alors condamné par le régime Nazi, autrement nommé « l'art dégénéré » (dont les grands représentants à l'époque sont Picasso, Klee, Kandinsky, Ernst, etc.).
- Réalisation et diffusion d'un film de Leni Riefenstahl, Olympia. Film documentaire réalisé en 1936 lors des Jeux Olympiques de Berlin, il se présente en deux parties Olympia, Les Dieux du stade (Fête des peuples) et Olympia, Jeunesse olympique (Fête de la beauté). Considéré comme une œuvre d'art à part entière, il est aussi un outil parfait pour présenter au monde le peuple allemand rêvé par l'idéologie portée par le IIIe Reich. L'idée est de présenter aux pays étrangers l'Allemagne comme une nation pacifique et sportive. Axé sur la représentation du corps et de l'esthétisme physique, on y présente la civilisation allemande comme digne héritière de la civilisation grecque.
- Jeux Olympiques / Berlin / 1936 / Leni Riefenstahl / Les Dieux du Stade (Olympia)
- Pour en savoir plus
Un film documentaire sur Leni Riefenstahl, Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres, réalisé par Andres Veiel a été présenté en août 2024 au Festival International du Film de Venise. Il sortira en France le 27 novembre 2024.
ci-dessus : Le bolchévique, Boris Koustodiev, 1920.
- Pour l'URSS aussi le courant moderne du début du vingtième siècle ne reflète pas ce que devrait être l'art et se révèle incompréhensible par le peuple selon les dirigeants. Des mesures radicales sont alors prises :
- interdiction de l'avant-garde moderne en URSS à partir de 1922 ;
- interdiction de l'art abstrait, dont certains avaient défendus la révolution bolchevique (Kandinsky, Malevitch) ;
- encadrement total de l'art diffusé et des artistes.
- Un seul art apparaît alors comme convenable le « réalisme soviétique ». Théorisé lors du premier Congrès des écrivains soviétiques de Moscou, en 1934, ce courant à pour unique but de montre la réalité telle qu'elle devrait être et non pas telle qu'elle est réellement : « une représentation véridique, historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire». L'idée est de projeter l'image rêvée, dessiné par le parti en place pour la diffuser au plus grand nombre. L'artiste « doit contribuer à la transformation idéologique et à l'éducation des travailleurs dans l'esprit du socialisme ».
- En somme, un art conformiste de propagande. Les têtes du parti sont représentées comme des leaders menant les foules vers le socialisme (cf. tableau de Koustodiev où l'on voit un homme d'une taille démesurée représentant le parti, tenant fièrement un drapeau rouge, couleur du socialisme, guidant une masse sans trait physique particulier vers l'avenir délaissant la Russie tsariste) ; en « Père des peuples » pour Staline attentif aux besoins de son peuple et bienveillant envers la jeunesse ; comme des gens simples qui peuvent se mêler aux paysans et échanger avec tout le monde :;
ci-dessus, Aeroritratto di Mussolini aviatore, Alfredo Gauro Ambrosi, 1930
- En Italie, on prend un autre tournant. La liberté d'expression est restreinte mais pas entièrement contrôlée et les intellectuels et artistes ne sont pas contraints et forcés à suivre les règles dictées par le régime fasciste en place. Il n'y a pas de directive réelle concernant une esthétique unique pour l'Etat, les artistes fascistes se permettent donc de garder leur style et ce notamment en littérature avec Malaparte ou Pirandello.
- Les peintres futuristes, représentants de l'avant-garde moderne en Italie, sont, pour la plupart, convaincus et séduits par le fascisme alors en place. Nul besoin donc de les interdire puisqu'ils vont servir le régime par la représentation qu'ils en feront au travers de leurs œuvres. Exemple avec le portrait du Duce Benito Mussolini représenté par Alfredo Ambrosi qui se superpose à la représentation de monuments romains (avec le Colisée au niveau du front) et de l'Italie moderne. Un mélange qui fait écho au courant pictural dans lequel s'inscrit Ambrosi, le futurisme, et la branche de l'Aéropeinture, expression du mythe de la machine et de la modernité.
- Toutes ces représentations artistiques servent farouchement la cause des régimes totalitaires, participant au culte de la personnalité et nourrissant un système de propagande déjà bien huilé. Utiliser l'art ainsi permet de le détourner et de supplanter les libertés qui pourraient y être associées comme la liberté d'expression, la liberté de pensée ou encore la liberté de conscience.
A lire
« De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d'en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston... Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme un flèche, dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n'avaient pas d'importance. Seule comptait la Police de la Pensée. »
A voir
A écouter
- George Orwell, écrivain politique
- Le chef-d'œuvre de George Orwell, « 1984 »
- "1984" : l’oeuvre d’Orwell, un miroir de nos existences en 2020 ?
- La novlangue, de George Orwell à Donald Trump
Pour aller plus loin, quelques articles
Analyse
Les Sept péchés capitaux sont présentés par la Bible qui les dénonce comme les péchés principaux, ceux dont tous les autres découleraient :
- l’avarice, l’envie, la paresse, la colère, la luxure, l’orgueil et la gourmandise.
Au premier plan, une sorcière au dos courbé, marchant avec une canne, habillée de haillons semble représenter l'avarice.
Sur son dos se tient un personnage de petite taille, nain ou enfant, atteint de strabisme, des yeux lorgnant de tous les côtés. Portant un masque moustachu, on reconnaît ici la moustache emblématique d'Adolf Hitler, il agrippe le dos de la sorcière portant la main à sa poitrine, semblant évoquer un manque, une frustration, pouvant laisser penser à une représentation de l'envie.
Le troisième personnage, placé derrière eux, est affublé d'un costume de squelette, une faux en main, représentant la mort. Il nous est donné l'impression que son cœur est arraché, laissant un trou béant à sa place. Allégorie littérale de la paresse, manque de courage et étymologiquement de cœur. Le placement du corps, avec la jambe pliée et la faux dans les airs, laisse imaginer le tracé d'une croix gammée.
Derrière lui, un monstre, la gueule béante et rouge, poilu, aux cornes pointues. C'est la colère qui brandit ici un poignard, prête à bondir.
A sa droite, une femme qui attire le regard par sa robe colorée qui contraste avec la colorimétrie du tableau, attirant l'attention, figure tentatrice. Ondulante, dansante, débraillée, la langue caressant ses lèvres, tenant un sein avec fermeté, le présentant au regard du visiteur, une représentation en règle de la luxure.
Derrière, un énorme masque représentant une tête pleine de pustules, au nez noir, malade qui semble se désagréger. Tête gonflée, menton vers le haut, personnage se cachant derrière une allure hautaine qui se bouche l'oreille en en faisant le trou pour sortir sa main. Les yeux fermés, il ne semble vouloir ni écouter, ni regarder personne, loin de tout ce que pourrait lui conseiller autrui, le voilà bouffi d'orgueil.
Enfin, se présente à nous la gourmandise. enrubanné de pate, brandissant fièrement un bretzel d'un côté et des saucisses accrochées à son bâton. Le personnage porte lui aussi un masque, une sorte de scaphandre à la bouche grande ouverte.
Trois des personnages lèvent le bras et on peut y voir un rappel au salut hitlérien alors très répandu.
Le paysage qui les entoure est morne, la nature y est désolée, un bâtiment nous empêche de voir l'horizon. Sur celui-ci une inscription, tirée d'un ouvrage du philosophe allemand Friedrich Nietzsche « Le désert grandit, malheur à celui qui recèle un désert ».
Véritable critique de l'aveuglement de ses contemporains face à la montée du nazisme, Otto Dix, peintre allemand du XXe siècle, présente en 1933 une œuvre directement rejetée par le régime en place en Allemagne.
Allégorie à plusieurs niveaux : les personnages représentant les sept péchés, le tableau en lui-même sous couvert d'une représentation religieuse critique le régime nazi. Toutefois, cette critique ne peut se faire ouvertement sous peine de risquer sa vie, œuvre peinte en 1933, la moustache de l'envie, elle, ne sera ajoutée qu'après 1945. Représentant de « l'art dégénéré », Otto Dix dérange par la crudité de son réalisme, de nombreux procès lui ayant été intenté pour certains de ses tableaux. A l'opposé de « l'art allemand » évoqué plus tôt, Otto Dix représente les corps non pas en soulignant les musculatures et leur beauté mais en les rendant mortels, laids, défectueux, plus humains. L'idée est de mettre le spectateur, celui qui contemple l'œuvre, face à la réalité et la dureté du sujet qui lui est présenté.
Documents en +
Certaines ressources sont déjà disponibles sur notre site internet. Vous pouvez les retrouver sur la page du spectacle Les Sept péchés capitaux : teaser, distribution.
D'autres ressources peuvent vous être communiquées si vous le souhaitez, comme le programme de salle, des photographies.
N'hésitez pas à nous contacter pour vous les procurer.