Ressources - Les Lavandières de la nuit
Présentation
Revenantes, sorcières ou créatures de l’au-delà… La légende des lavandières de la nuit, figures fantomatiques et mystérieuses, traverse l’Europe depuis le haut Moyen Âge. Elles battent leur linge pour annoncer la mort ou faire partager leur sort à l’inconscient qui les dérange.
En Bretagne, les lavandières de la nuit sont connues grâce à La Légende de la Mort d’Anatole Le Braz où elles rejoignent des figures marquantes comme celle de l’Ankoù. Ces histoires envoûtantes font l'objet d'un concert conté qui convoque les musiques dites traditionnelles, les compositeurs français et européens, avec des chansons d’un autre temps ou des créations contemporaines.
La légende des lavandières
Les lavandières de nuit, ces figures fantomatiques et mystérieuses issues du folklore médiéval, sont le sujet de légendes qui glacent le sang depuis des siècles. La première mention connue de ces entités terrifiantes remonte au VIIIe siècle, dans les civilisations celtiques. Ces lavandières ont hanté l’imaginaire collectif à travers les âges. Les témoignages abondent et beaucoup de récits à leur sujet résonnent dans toute l’Europe, particulièrement en Ecosse, en Irlande et en France.
Au XXIè siècle, cette légende peut faire sourire et pourtant il y a seulement quelques siècles, les lavandières faisaient frémir plus d’un. Une fois la nuit tombée, le moindre bruit de battement faisait craindre de rencontrer ces créatures annonciatrices de mort.
Les lavandières de la nuit appartiennent à la sinistre famille des revenants. Maudites après leur mort, elles sont condamnées à battre le linge dans un cours d’eau ou un lavoir pour l’éternité. Cette condamnation, terrifiante et inévitable, sert d’expiation pour leurs péchés. Une punition répétitive, incessante qui fait écho à l’enfer de la mythologie grecque.
Les motifs de cette punition sont multiples. Ceux le plus fréquemment cité sont le fait d’avoir été une lavandière malhonnête, les lavandières qui par cupidité remplaçaient le savon par des cailloux avec lesquels elles frottaient le linge. Un traitement du linge indigne qui le laissait sale et abîmé. Les travailleuses du dimanche, elles aussi condamnées au sort de lavandières de nuit. Ces femmes qui transgressaient la règle religieuse du repos le dimanche en lavant leur linge ce même jour. De ce fait, elles étaient condamnées à travailler pour l’éternité. Mais le plus grave et plus sombre des motifs est celui des mères infanticides. Elles aussi étaient maudites à errer en tant que lavandières de nuit. George Sand expliquait même que les véritables lavandières sont les âmes des mères infanticides. Ces femmes maintenant des spectres damnés, paient pour leur crime dans une boucle interminable de labeur et de souffrance.
Cette légende rappelle les interdictions religieuses et morales de l’époque. Les lavandières montraient de manière terrifiante ce que provoque la transgression de ces interdits.
Il existe de nombreuses spécificités à ce mythe en fonction des régions. En Bretagne, la lavandière est un être cruel, errant les soirs de pleine lune et la veille de la Toussaint. Généralement solitaire, elle cache son visage démoniaque derrière une apparence ordinaire. Elle bat son linge dans un cadence lourde et sinistre, créant un bruit résonnant qui glace le sang. Les passants ayant le malheur de s’en approcher font face à un grand danger. La lavandière force quiconque croise son chemin à tordre le linge avec elle. Si le passant a le malheur de ne pas essorer le linge dans le bon sens, elle peut vous briser les os et vous étrangler avec son linge.
Les motifs d’expiation sont encore plus variés en Bretagne. Parmi les âmes damnés transformées en lavandières de nuit, on trouve des veuves ayant enseveli leur mari dans un linceul sale, des femmes ayant été enseveli dans un linceul souillé, des mères infanticides, des femmes lavant le linge le dimanche ainsi que des lavandières malveillante au même titre que les lavandières malhonnête.
C'est notamment Anatole Le Braz, dans son ouvrage "La Légende de la Mort", qui a fait connaître la figure des lavandières de nuit en Bretagne. Ce monument de l'enquête ethnographique explore la thématique de la mort et des croyances populaires bretonnes. Dans cet ouvrage, les lavandières de la nuit rejoignent des figures marquantes comme celle de l'Ankoù.
Extrait de La Légende de la mort, Anatole Le Braz, 1893
Introduction, partie II
« Une inconnue propose un soir à une laveuse attardée de l’aider à laver son linge ; lorsqu’elle rentrera dans son étroite maison, son mari la gourmandera de son imprudence, si elle a accepté l’offre dangereuse que lui faisait l’inconnue ; c’était sans doute une maouès-noz, une laveuse de nuit ; la femme bientôt n’en doute plus, elle clôt sa porte en hâte, elle retourne le balai, elle suspend le trépied, elle jette sur le sol l’eau où elle s’est lavé les pieds et quand un grand coup s’abat sur la porte, c’est, elle en est bien sûre, la mauvaise visiteuse qui vient réclamer le prix funeste de ses services. Ainsi se passent les choses dans la légende, ainsi se passent-elles dans la vie réelle. Toutes ces histoires que content les Bretons aux veillées, non seulement ils les croient mais ils les vivent. »
Introduction, partie IV
« Ce ne sont pas seulement les âmes des morts qui peuplent la nuit, mais des êtres malfaisants et dangereux, dont la rencontre est funeste, qui n’ont jamais été des vivants, qui sont d’une autre race que la race des hommes ; ils semblent cependant faire partie du même monde dont font partie les morts. Ce sont les laveuses de nuit (kanorez-noz), le crieur de nuit (ar hopper-noz), le petit enfant de la nuit (ar buguel-noz). Les laveuses de nuit lavent dans les étangs ou les ruisseaux les linceuls des morts, elles obligent ceux qui ont l’imprudence de leur adresser la parole à tordre avec elles toute la nuit le linge qu’elles viennent de laver. La maouez-noz contraint le malheureux à s’épuiser dans cette besogne sinistre et le matin on le trouve étendu sur la prairie mort ou évanoui. Il est fort difficile de savoir ce que sont exactement ces lavandières de nuit, il semble bien qu’elles n’appartiennent pas à la même race que les vivants, mais elles ont cependant l’apparence de femmes ordinaires ; elles sont vêtues comme les femmes qui vont au lavoir ; elles parlent breton comme les paysannes et il ne semble pas qu’elles soient douées de pouvoirs surnaturels que ne possèdent point les âmes des morts. »
LXVI, Celle qui lavait la nuit
« Fanta Lezoualc’h, de Saint-Trémeur, pour gagner quelques sous, se louait à la journée dans les fermes des environs. Aussi ne pouvait-elle vaquer à son propre ménage que le soir. Or, un soir, elle se dit en rentrant : « C’est aujourd’hui samedi, demain dimanche. Il faut que j’aille laver la chemise de mon homme et celles de mes deux enfants. Elles auront de temps de sécher, d’ici à l’heure de la grand messe, car la nuit promet d’être belle. »
Il faisait, en effet, un magnifique clair de lune.
Fanta prit donc le paquet de linge et s’en alla laver à la rivière.
Et la voilà de savonner, et de frotter, et de taper, à tour de bras. Le bruit de son battoir retentissait au loin, dans le silence de la nuit, multiplié par tous les échos :
Plie ! Plac ! Ploc !
Elle était toute à sa besogne. Quel que fût l’ouvrage, elle y allait ainsi, hardiment, des deux mains. C’est sans doute pourquoi elle n’entendit pas arriver une autre lavandière.
Celle-ci était une femme mince, svelte comme une biche, et qui portait sur la tête un énorme faix de linge aussi allègrement que si c’eût été un ballot de plume.
— Fanta Lezoualc’h, dit-elle, tu as le jour pour toi ; tu ne devrais pas me prendre ma place, la nuit.
Fanta, qui se croyait seule, sursauta de frayeur, et ne sut d’abord que répondre. Elle finit enfin par balbutier :
— Je ne tiens pas à cette place plus qu’à une autre. Je vais vous la céder, si cela peut vous faire plaisir.
— Non, repartit la nouvelle venue, c’est par badinage que j’ai parlé de la sorte. Je ne te veux aucun mal, bien au contraire. La preuve en est que je suis toute disposée à t’aider si tu y consens.
Fanta Lezoualc’h, que ces paroles avaient rassurée, répondit à la Maouès-noz, à la « femme de nuit » :
— Ma foi, ce n’est pas de refus. Seulement je ne voudrais pas abuser de vous, car votre paquet semble plus gros que le mien.
— Oh ! moi, rien ne me presse.
Et la femme de nuit de jeter là son faix de linge, et toutes deux de frotter, de savonner et de taper avec entrain.
Tout en besognant, elles causèrent.
— Vous avez dure vie, Fanta Lezoualc’h ?
— Vous pouvez le dire. En ce moment, surtout. Depuis l’angélus du matin jusqu’à la nuit close, aux champs. Et cela doit durer ainsi jusqu’à la fin de l’août. Tenez, il n’est pas loin de dix heures, et je n’ai pas encore soupé.
— Oh ! bien, Fanta Lezoualc’h, dit l’étrangère, retournez donc chez vous, et mangez en paix. Vous n’en serez pas à la troisième bouchée que je vous aurai rapporté votre linge, blanchi comme il faut.
— Vous êtes vraiment une bonne âme, répondit Fanta. Et elle courut d’une traite jusqu’à sa maison.
— Déjà ! s’écria son mari, en la voyant entrer, tu vas vite vraiment !
— Oui, grâce à une aimable rencontre que j’ai faite.
Elle se mit à raconter son aventure.
Son homme l’écoutait, allongé dans son lit, où il achevait de fumer sa pipe. Dès les premières paroles de Fanta, son visage devint tout soucieux.
— Ho ! Ho ! dit-il, quand elle eut fini, c’est là ce que tu appelles une aimable rencontre. Dieu te préserve d’en faire souvent de semblables ! Tu n’as donc pas réfléchi qui était cette femme ?
— Tout d’abord, j’ai eu un peu peur, mais je me suis vite rassurée.
— Malheureuse ! tu as accepté l’aide d’une Maouès-noz !
— Jésus, mon Dieu !… J’en avais eu idée… Que faire, maintenant ? Car elle va venir me rapporter le linge.
— Achevez de souper, répondit l’homme, puis rangez soigneusement tous les ustensiles qui sont sur l’âtre. Suspendez surtout le trépied à sa place. Vous balaierez ensuite la maison, de façon à ce que l’aire en soit nette ; vous mettrez le balai dans un coin, la tête en bas. Cela fait, lavez-vous les pieds, jetez l’eau sur les marches du seuil, et couchez-vous. Mais soyez preste.
Fanta Lezoualc’h obéit en hâte. Elle suivit de point en point les recommandations de son mari. Le trépied fut bien assujetti à son clou, le sol de la maison nettoyé jusque sous les meubles, le balai renversé, le manche en l’air, l’eau qui avait servi à laver les pieds de Fanta répandue sur les marches du seuil.
— Voilà ! dit Fanta, en sautant sur le « bank-tossel », et en se fourrant au lit, sans même prendre le temps de se déshabiller tout à fait.
Juste à ce moment, la « femme de nuit » cognait à la porte.
— Fanta Lezoualc’h, ouvrez ! C’est moi qui vous rapporte votre linge.
Fanta et son mari se tinrent bien coi.
Une seconde, une troisième fois, la femme de nuit répéta sa « demande d’ouverture ».
Même silence à l’intérieur du logis.
Alors on entendit au dehors s’élever un grand vent. C’était la colère de la Maouès-noz.
— Puisque chrétien ne m’ouvre, hurla une voix furieuse, trépied, viens m’ouvrir !
— Je ne puis, je suis suspendu à mon clou, répondit le trépied.
— Viens alors, toi, balai !
— Je ne puis, on m’a mis la tête en bas.
— Viens alors, toi, eau des pieds !
— Hélas ! regarde-moi, je ne suis plus que quelques éclaboussures sur les marches du seuil.
Le grand vent tomba aussitôt. Fanta Lezoualc’h entendit la voix furieuse qui s’éloignait en grommelant :
— La « mauvaise pièce » ! Elle peut se féliciter d’avoir trouvé plus savant qu’elle pour lui faire la leçon! »
(Conté par Créac’h.— Plougastel-Daoulas, octobre 1890.)
Marthe Vassalo est née en 1974 dans les Côtes-du-Nord. Élevée dans le Trégor, elle commence à chanter très tôt. Dès les années 1990, elle intervient dans les festoù-noz et les veillées et n’a jamais cessé depuis.
Elle suit un cursus riche et apprend notamment le breton à partir de ses 14 ans. Avant de se dédier complètement à la musique, elle est animatrice TV en breton pour France 3 Ouest entre 1991 et 1996.
Elle nourrit une passion pour les chansons narratives et les gwerzioù, une passion qui imprègne son travail. Son style musical se façonne au fil des rencontres avec d’autres chanteurs et à travers des études de collectages. Son travail au sein de l’association Dastum notamment, joue un rôle important dans la construction artistique de Marthes. Elle y réalise des transcriptions, traduction et analyses.
Toujours en lien avec la musique traditionnelle bretonne, elle pratique le kan ha diskan avec Ronan Guéblez et forme le groupe de fest-noz Loened Fall en 1996. Le groupe sortira plusieurs albums.
Au-delà de l’interprétation, l’écriture fait aussi partie intégrante du travail de Marthe. Elle écrit pour de nombreux musiciens, allant de la chanson en breton à des textes de spectacles. Marthe a aussi eu l’occasion de travailler auprès de nombreux metteurs en scène. Par exemple, sa rencontre avec Marc François lui permettra d'interpréter une sorcière dans Macbeth.
Sa carrière de chanteuse traditionnelle bien établie, elle découvre le chant classique et s’engage dans de nombreuses expériences dans ce domaine. Elle obtient un D.E.M. de chant lyrique en 2003 dans la classe d’Agnès Brosset et suit des cours auprès d’Ilham Loulidi et Daniel Delarue. Elle mène alors une sorte de double vie entre la musique traditionnelle et classique. Elle rejoint notamment le chœur de chambre Mélisme(s) en résidence à l’Opéra de Rennes.
Grande voix de la musique bretonne actuelle, Marthe Vassallo est une figure exceptionnelle. Elle multiplie les expériences et constitue une source d'inspiration pour la musique bretonne et au-delà.
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Certaines ressources sont déjà disponibles sur notre site internet. Vous pouvez les retrouver sur la page du spectacle Les Lavandières de la nuit : teaser, distribution.