Ressources - La Sérénade
Présentation
Créé sous couvert d'anonymat en 1818 pour contourner la suspicion de l'époque s'agissant d'œuvres écrites par des femmes, l'opéra La Sérénade est signé de la compositrice Sophie Gail et de la librettiste Sophie Gay. L'œuvre soulève un grand enthousiasme des critiques comme du public au Théâtre royal de l'Opéra Comique avant de tomber dans l’oubli. C'est donc justice de le recréer à Rennes, en collaboration avec l'Opéra Grand Avignon et le Palazzetto Bru Zane.
Pleine de charme et d'humour, cette Sérénade reprend les codes du théâtre de comédie : la relation maître valet, les amours interdites et les contrastes de hiérarchie sociale. Elle nous donne à entendre une musique contemporaine de celle de Rossini dans laquelle les musiciens de l'Orchestre National de Bretagne excellent, sous la direction de Rémi Durupt.
Par sa mise en scène pleine de malice qui montre une troupe en train de travailler, Jean Lacornerie rend hommage aux compositrices à la tête d'une distribution aussi joueuse que frondeuse. Du grand art !
Sophie Gail, la compositrice
Sophie Gail est née en 1775à Paris. Fille de Claude-François Garre, chirurgien du roi, et d'Adélaïde Colloz, une aristocrate ayant reçu aux dires de son mari "une instruction au-dessus de son sexe", elle grandit dans une famille aisée et côtoie des figures influentes.
Dès l’enfance, elle baigne dans la musique. Elle apprend le piano et le chant, se voyant offrir une éducation musicale digne des jeunes filles nobles du XVIIIe siècle. En 1790, à peine âgée de 14 ans, elle publie sa première romance, un genre qui suscite l'engouement de l'époque. A 19 ans, elle épouse l'helléniste Jean-Baptiste Gail (1755-1829). Elle prend alors son nom, Sophie Garre devient Sophie Gail, et c'est avec ce dernier qu'elle obtient sa notoriété. L'année de son mariage, elle donne naissance à Jean-François, son premier enfant. Finalement, les deux époux divorcent en 1801. Par la suite, elle aura 3 autres fils, nés de 3 pères différents, un style de vie illustrant son désir de liberté.
La Révolution Française bouleverse la vie de Sophie et laisse des traces sur les finances de sa famille. Ruinée et divorcée, elle se consacre pleinement à la musique. Elle compose mais gagne surtout sa vie comme pianiste et cantatrice dans le registre classique. Sophie Gail entame des tournées à travers la France et l'Europe, où elle chante et accompagne ses romances avec passion. Pour parfaire son art, elle se forme auprès de grands musicologues et compositeurs tels que François-Joseph Fétis, François-Louis Perne, et Sigismond von Neukomm.
En 1813, elle compose son premier opéra-comique, Les deux jaloux. L'œuvre rencontre un grand succès et sera programmée au théâtre parisien pendant 26 ans. Sophie Gail continue d'écrire pour l'opéra mais ce n'est qu'en 1818 qu'elle rencontre de nouveau le succès avec La Sénérade, composée en partie avec Manuel Garcia sur un livret de Sophie Gay.
Elle succombe en 1819 à une maladie pulmonaire à l'âge de 43 ans. Elle laisse derrière elle un vaste répertoire, composé de nombreuses romances et quelques opéras comiques.
Sophie Gail est une figure féminine importante de l'opéra du XIXè siècle. Elle incarne la liberté et le peu de succès rencontré par les compositrices de l'époque. Sophie Gail s'inscrit dans un contexte qui est loin d'être favorable aux femmes. Dans la musique, on admet volontiers pour une femme le rôle de muse ou d'interprète mais pas celui de compositrice. L'enseignement institutionnel de l'écriture est réservé aux hommes. Un monopole du savoir qui fait passer les partitions féminines pour un "ouvrage de dame", dont on n'attend rien. Sophie Gail dénote par rapport à ce contexte.
Cependant, bien qu'elle connut une certaine notoriété de son vivant, elle tomba vite dans l'oubli après sa mort. Un sort semblable à l'ensemble des figures féminines de la création musicale dont les noms n'ont pas été retenus par la postérité.
Ces dernières décennies, le monde redécouvre son héritage musical et l’apprécie. Ainsi, cette redécouverte des compositrices oubliées est le pari qu’a décidé de suivre l’Opéra de Rennes en faisant jouer La Sérénade.
Sophie Gay, la librettiste
Sophie Gay est née en 1776 à Paris. Fille de Florentine Peretti et d'Auguste Nichault de la Valette, elle a été très tôt au contact de la littérature.
Elle est connue pour ses talents de romancière, dramaturge, librettiste et salonnière. Elle ouvre un salon à Aix la Chapelle qui sera fréquenté par de nombreuses personnalités artistiques et intellectuelles de l'époque, tels que Benjamin Constant qui figure d’ailleurs parmi les habitués de ce salon.
Elle laisse derrière elle un important panel d'œuvres allant du roman au livret d’opéra. Parmi ces dernières, l’on retrouve notamment Laure d’Estell, son premier roman ; le Moqueur Amoureux ou encore l’opéra La Sérénade.
Sophie Gay a exercé une certaine influence sur la vie culturelle et artistique de son époque. En cela, elle constitue un figure féminine notable de la littérature du XIXè siècle.
L'histoire
La Sérénade est un opéra-comique en un acte composé par Sophie Gail avec Manuel Garcia en 1818, d'après la pièce éponyme de Jean-François Regnard sur un livret arrangé par Sophie Gay.
L'œuvre offre une histoire légère et divertissante. L'humour est un élément central de cette pièce, il se manifeste au travers des intrigues amoureuses et des malentendus comiques. Cet opéra reprend parfaitement les codes de la Comédie Française. Ses créatrices mobilisent à la fois des références musicales telles que Mozart et Bach, et théâtrales tels que l'Avare de Molière, en faisant ainsi une œuvre remarquable entre comédie et opéra.
L'intrigue se centre sur le mariage de Léonore, une jeune femme promise à un vieil homme, qui s'avère être le père de son véritable amour, Valère. C'est alors que Scapin, le serviteur de ce dernier, entre en scène. Le personnage constitue la figure centrale de cet opéra. Scapin s’emploie à tout mettre en œuvre pour que le fils puisse épouser celle qu’il aime.
À l’époque de sa sortie, cette œuvre signée de deux mains féminines rencontre un grand succès tant auprès de la critique que du public. Dans un contexte où les femmes n’ont pas leur place dans la sphère publique, les critiques se rassurent du fait que des hommes se cacheraient derrière le processus créatif. Le rôle du duo de Sophie est alors minimisé par la presse. Cette dernière insiste sur le fait que Sophie Gay reprend l'intégralité des dialogues de la pièce de Regnard et que Sophie Gail aurait utilisé la musique de Manuel Garcia. De ce côté, la réalité reste difficile à démêler et il est délicat de savoir s'il y a eu collaboration ou même plagiat.
D'abord exhumée par l'Opéra d'Avignon, La Sérénade reprend vie à l'Opéra de Rennes pour la saison 2024-2025.
La place des femmes dans la composition
D’abord, posez-vous cette question : connaissez-vous des femmes compositrices ? Faites deux listes : une pour les compositrices et une pour les compositeurs. Je parie que vous aurez plus de mal avec l’une d’elles. Mais je ne vous dis pas laquelle, pour garder un peu de suspense.
Où sont les femmes ?
Bach, Mozart, Beethoven, Chopin... La liste des grands noms de la composition est dominée par des hommes. Historiquement, les femmes ont souvent été exclues de cette pratique artistique. Pourtant, des compositrices existent depuis des siècles, mais la société ne leur a pas accordé la même reconnaissance que leurs homologues masculins.
Les femmes composent de la musique depuis aussi longtemps que la musique existe. Sappho est la première figure féminine associée à la composition musicale, bien qu'elle n'ait laissé aucune trace écrite. Vivant à Lesbos aux XIIe - XIe siècles avant J.-C., Sappho était une poétesse qui jouait d'un instrument à cordes entre la lyre et la harpe. Elle chantait des hymnes en l'honneur d'Aphrodite.
Déjà dans l'Antiquité, les femmes artistes étaient confrontées à des stéréotypes et préjugés. Elles étaient souvent perçues comme des courtisanes ou des prostituées dont le seul but était de divertir les hommes lors de soirées festives. Cette vision caricaturale a contribué à décrédibiliser les musiciennes.
Ces femmes compositrices ont depuis traversé les siècles et ont été présentes à toutes les périodes de l’histoire. Cependant, elles n’ont jamais été reconnues à égalité avec les hommes. Leur travail se faisait souvent dans des espaces confinés, comme la maison ou les institutions religieuses. Les femmes de manière générale n’avaient pas leur place dans l’espace publique. Il leur était souvent étroitement fermé. Même lorsqu'elles parvenaient à quitter la sphère privée, elles étaient dévalorisées. Les hommes ont longtemps monopolisé l'enseignement musical lié à la composition, qualifiant les œuvres des femmes "d'œuvres de dames" sans valeur. Ainsi, peu de femmes ont vu leur musique jouée et ont rencontré le succès de leur vivant.
Cette invisibilisation s’aggrave après leur mort. Le nom des femmes compositrices est passé aux oubliettes. Aujourd’hui, beaucoup sont connue simplement en tant que “la sœur de” ou “la femme de” sans considération pour leur travail. Dans une histoire écrite par les hommes, pour les hommes, les femmes n’ont que peu de place. En conséquence, il existe d’importantes lacunes dans l’enseignement artistique et les femmes rencontrent toujours des difficultés pour se faire une place dans le milieu de la musique.
Malgré ces obstacles, un travail important de redécouverte est en cours, et il est aussi laborieux que bénéfique. Il implique la retranscription de partitions qui n'ont jamais été jouées et le déchiffrage de manuscrits anciens. Un recensement exhaustif est nécessaire pour explorer l'histoire musicale dans toute sa diversité.
Clara Schumann, Clara Wieck de son nom de naissance, est née en 1819 à Leipzig en Allemagne. Fille du grand pianiste Friedrich Wieck et de Mariane Bargiel, elle aussi pianiste, Clara Schumann découvre la musique dès son plus jeune âge.
Alors qu'elle n'a que 5 ans, ses parents divorcent. À partir de là, Clara vit seule avec son père, une figure autoritaire. Il lui enseigne le piano et le solfège, si bien qu'elle donne des concerts et compose alors qu'elle n'a que 9 ans. Sa langue maternelle n’est pas l’allemand mais bien la musique.
De concert en concert, elle se construit une grande réputation en tant que pianiste en Europe. Elle est admirée par les compositeurs de son époque ; sa route croisera notamment celle de Mendelssohn, Liszt, Chopin, Paganini…
À côté de sa vie d’artiste, Clara Schumann a une vie sentimentale plutôt agitée. Elle n'a que 9 ans lorsqu'elle fait la rencontre de son futur mari, Robert Schumann (1810-1856). Ce dernier, de 10 ans son aîné, va devenir l'élève de son père et les deux se fréquentent tout au long de l'adolescence de Clara. Cette amitié finit par se transformer en amour. Robert Schumann fait sa demande en mariage lorsque Clara a 18 ans. Pour autant, un grand obstacle se dresse face au couple, le refus du père de Clara. Ce conflit familial prend des proportions incroyables et l'histoire se finit devant la justice. Finalement, à l'issue d'un an de procès Clara épouse Robert, à l'âge de 21 ans, laissant des traces indélébiles sur la relation père-fille.
Tout comme les prémisses de ce mariage, la vie de couple n'est pas aisée.Compositrice, musicienne, épouse et mère, Clara Schumann a souvent sacrifié sa carrière de musicienne pour s'occuper de ses huit enfants et de son époux. Robert Schumann avait une santé mentale fragile. Ses nombreuses angoisses pèsent sur Clara et elle lui dédie une grande partie de son temps. Cette spirale négative progresse au fil des années. En 1854, Robert tente de se suicider et en 1856 il décède après avoir été interné.
Même après la mort de son mari, Clara ne se remet pas vraiment à la composition. Sa vie de compositrice est donc bien derrière elle, mais pas celle de pianiste. Elle continue les tournées en Europe où elle joue les œuvres de son défunt mari. Elle décède finalement en 1896.
Grande artiste, c'était pourtant son mari qui était considéré comme le génie. Beaucoup disent que si elle avait consacré tout son temps à la composition elle aurait été encore plus loin, cela alors même que certaines de ces compositions sont aujourd'hui considérées comme des chefs d'œuvre.
- Clara Schumann : Romance en la mineur (Marie Vermeulin)
Louise Farrenc est née à Paris en 1804, elle estlafille du sculpteur Jacques-Edmé Dumont et de Marie Elizabeth Louise Courton.
Dès le plus jeune âge, elle reçoit une éducation musicale approfondie avec des cours de piano, d’harmonie et de composition. Des études qu’elle poursuit auprès de figures importantes de l’époque. Parmi ses professeurs figure notamment Antoine Reicha, compositeur, théoricien et professeur de musique.
Elle interrompt pour un temps ses études quand elle se marie en 1821 avec le flûtiste, compositeur et éditeur de musique Aristide Farrenc (1794-1865). Avec, elle aura une fille, Victorine, qui sera une excellente pianiste mais elle meurt prématurément en 1858 à l'âge de 32 ans.
Malgré son talent, Louise Farrenc peine à se faire une place dans le milieu musical, un milieu largement dominé par les hommes. En 1842, elle devient la première femme à être nommé professeur de piano au Conservatoire national de Paris, une belle reconnaissance pour sa musique et son talent.
Entre 1841 et 1847, elle se consacre pleinement à la composition. Dans une époque où les femmes compositrices n'ont pas leur place, Louise Farrenc va marquer son temps en étant l'une des rares femmes, si ce n'est la seule à composer des symphonies. Louise Farrenc aime mêler différentes familles d'instruments dans sa musique, si bien que composer des symphonies devient une évidence pour elle. Sa maîtrise des œuvres instrumentales s'étend par la composition de nonnettes ou encore sextuors.
Malgré tout, son talent ne lui suffira pas pour faire jouer sa musique. Déjà de son vivant, elle peine à se faire une place. Même si Louise Farrenc était professeur au conservatoire, même si Louise Farrenc composait des symphonies d'anthologie, même si elle était applaudie et reconnue… Les mêmes si s'enchainent et même si c'était une grande artiste, son nom a été oublié de l'histoire de la musique classique.
Ces dernières décennies, Louise Farrenc est redécouverte. Sa musique se retrouve plébiscitée et les artistes d'aujourd'hui s'en saisissent. Une manière de donner de la lumière à une compositrice injustement oubliée.
- Louise Farrenc : Symphonie n°3 en sol mineur op. 36 par l'Orchestre philharmonique de Radio France
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Certaines ressources sont déjà disponibles sur notre site internet. Vous pouvez les retrouver sur la page du spectacle La Sérénade : teaser, photographies, distribution, avis de la presse.
D'autres ressources peuvent vous être communiquées si vous le souhaitez, comme la partition piano-chant ou le livret de cet opéra.
N'hésitez pas à nous contacter pour vous les procurer.