Le 1er et le 2 octobre 2019
Le journal d'un disparu
Créé en 1921, Le Journal d’un disparu retrace l’histoire d’un jeune villageois quittant les siens pour une Tsigane dont il s’est épris. Le livret aborde les questions d’exil et d’amour, et résonne avec la propre vie de Leoš Janáček : alors âgé de 63 ans, il vit une idylle avec une femme de 38 ans sa cadette.
Le metteur en scène Ivo Van Hove, artiste majeur de la scène européenne, s’empare de ce récit brûlant pour créer un opéra miniature d’une grande sensualité. Transposée à notre époque, l’action se situe dans l’atelier d’un photographe réputé, parfait écrin pour illustrer visuellement la liaison entre Janik et Zefka. Après 2 saisons de tournée à travers toute l’Europe, ce spectacle d’une beauté saisissante repart sur les routes pour une dernière série de représentations et fait étape à Rennes. Un événement !
Ivo Van Hove est l’un des metteurs en scène européens les plus influents. Il a mis en scène plus d’une centaine de spectacles, pièces de théâtre, adaptations de romans ou de films, comédies musicales et opéras. Il crée un théâtre traversé par les émotions humaines où tout prend sens, textes, scène, interprètes, images et musique. Artiste régulièrement invité au festival d’Avignon, il met en scène au festival d’Aix-en-Provence Mahagonny de Kurt Weill cet été. Avec Le Journal d’un disparu, son travail sera présenté pour la première fois à l’Opéra de Rennes.
Mardi et mercredi 1er et 2 octobre à 20h
Durée 1h sans entracte
Spectacle chanté en tchèque et anglais, surtitré en français
Spectacle n°1
Tarif B de 5 à 40€
Ivo Van Hove : Mise en scène
Romain Gilbert : Assistant mise en scène
Jan Versweyveld : Conception décor et lumières
An D’Huys : Costumes
Krystian Lada : Dramaturgie
Peter Gijsbertsen, ténor
Marie Hamard, mezzo-soprano
Hugo Koolschijn, comédien
Annelies Kerstens, Naomi Beeldens, Fabienne Seveillac, troix voix
Lada Valešová, piano
« Zápisník zmizelého », cycle de vingt-deux chants pour ténor et mezzo-soprano soli, trois voix de femmes et piano, créé en 1921. Le Journal d’un disparu est complété par une pièce d’Annelies Van Parys composée en réponse à cette œuvre.
AUTOUR DU SPECTACLE :
Bord de scène : Mardi 1er octobre à l’issue du spectacle
TROIS QUESTIONS À KRYSTIAN LADA, DRAMATURGE
Qu’est-ce qui vous a attiré vers cette oeuvre ?
Le Journal d’un disparu est la quatrième pièce d’une série de monologues qu’Ivo Van Hove a développés depuis 2009 avec ses acteurs. Tous ces monologues sont traversés par le sentiment général de départs sans fin et l’impossibilité d’un vrai lien avec l’autre. Le travail autour de la musique est aussi important et fusionne un cycle de chansons avec les textes originaux des lettres intimes entre le compositeur et sa muse, ainsi que des fragments du dernier testament du compositeur.
En quoi le jeu de miroir entre le couple sur scène et la relation de Janáček et Kamila a-t-il éclairé votre travail ?
Janáček a mentionné à plusieurs reprises le fait qu’il avait composé le Journal sous l’influence de son affection pour Kamila Stösslová, une femme plus jeune que lui, sans prétention intellectuelle, mère de deux garçons, mariée et heureuse. L’échange de lettres - Janáček a écrit plus de 700 lettres à sa muse entre 1917 et 1928 - témoigne de sa profonde attirance pour elle. La mise en scène d’Ivo van Hove combine ces deux histoires - la véritable histoire de l’amour de Janáček pour Kamila et l’histoire fictive de Janíček et de Zefka. Les frontières entre la vie réelle et l’imagination artistique qui reste une pure fantaisie enflammée par les désirs deviennent plus ténues.
Vous transposez l’oeuvre de Janáček à notre époque et quittez la campagne pour la ville. Pourquoi ce choix ?
Zefka reste dans le Journal de Janáček un individu socialement exclu, comme peuvent l’être les réfugiés aujourd’hui, et les bois, un lieu de séduction et de danger. À l’inverse du jeune meunier 4 de Die schöne Müllerin de Schubert ou du vagabond de Winterreise, le jeune paysan de Janáček cède à ses désirs, sort de son milieu familier et quitte son pays natal pour commencer une nouvelle vie définie par ses propres choix. Cela apporte un développement spectaculaire à la pièce. L’intention de Van Hove est de montrer la dimension intemporelle de cette histoire. En introduisant deux dimensions dans sa mise en scène – les événements du passé (l’histoire du jeune Janáček interprétée par le ténor) et la réflexion sur ces événements (l’histoire de l’ancien Janáček interprétée par l’acteur) - la mise en scène reflète le sentiment de nostalgie de ce qui n’a jamais été et le désir de ce qui aurait pu être. Il thématise les souvenirs en tant que lieu dans lequel le protagoniste principal a été emprisonné.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier © Opéra de Rouen Normandie
LA VIE DE L’OEUVRE, DE LA CRÉATION À AUJOURD’HUI LE JOURNAL D’UN DISPARU DE LEOŠ JANÁČEK
Le compositeur et sa muse
En mai 1916, le Journal du peuple de Brno publie le Journal d’un disparu, une série de 23 poèmes anonymes, bien plus tard attribués à Josepf Kalda. Ce cycle évoque l’histoire d’un jeune paysan, Janik, qui, tiraillé entre les valeurs de son éducation, ses obligations familiales et son amour pour la tsigane Zefka, choisit de s’exiler pour suivre cette dernière. De là à ce que Janáček compare l’histoire de la passion de Janik à son amour naissant mais impossible pour la jeune Kamila Stösslová rencontrée durant l’été 1917, il n’y avait qu’un pas.
Une oeuvre inclassable
Dès lors, le musicien s’inspire de ces poèmes, à peine rentré à Brno, pour écrire un cycle de 22 mélodies pour ténor, mezzo-soprano solo, trois voix de femmes et piano. Ayant dû s’interrompre à deux reprises pour composer Les Voyages de Monsieur Brouček et le poème symphonique Taras Bulba, Janáček n’achève le Journal qu’en 1921, peu avant la création, le 18 avril. Néanmoins, l’histoire, la distribution très claire des rôles, comme les indications d’éclairages ou celles, très précises, d’entrée et de sortie de scène de Zefka notées dans la partition en font une oeuvre très originale, à mi-chemin entre le lied et l’opéra miniature. Cela montre également que le musicien envisageait la représentation scénique de son oeuvre : ainsi fut fait le 28 octobre 1926 à Ljubljana.
Une remarquable économie de moyens
Musicalement admirable, la partition frappe surtout par sa force dramatique exceptionnelle. Janáček parvient à évoquer une large palette de sentiments, d’atmosphères, de paysages avec une exceptionnelle économie de moyens. Véritable clé de voûte de ce succès, la partie de piano se substitue sans mal à l’orchestre qu’aurait pu choisir le compositeur. Bien plus qu’un accompagnant, son rôle est ici de planter le décor, de donner du relief à ce que le texte suggère sans parvenir à dire. Ainsi du magnifique Intermezzo destiné à évoquer l’acte d’amour entre Janik et Zefka, que Janáček choisi de confier au seul piano. Cinq pièces d’Annelies Van Parys viennent compléter le cycle de Janáček. Tout en accordant, comme lui, une grande importance à la rythmique et à la mélodie de la langue, la jeune compositrice belge a choisi en revanche de placer la voix féminine au centre de son oeuvre, moyen d’introduire une nouvelle perspective au récit.
Textes de Lisa Guigonis sous la coordination éditoriale de Joann Elart. © Opéra de Rouen Normandie
Coproduction
Muziektheater Transparant, Toneelgroep Amsterdam, De Munt/La Monnaie, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg Klarafestival, Kaaitheater, Operadagen Rotterdam, Beijing Music Festival, Poznań Grand Théâtre