Ressources - Narcisse

Présentation

Sur un écran géant cohabitent des portraits d'un Narcisse obsédé par son image et des textos écrits en temps réel, deux instrumentistes et deux chanteurs en live avec un chant sublimant les avatars.
Cet opéra sur le thème de l’addiction aux réseaux sociaux a été créé par la compositrice Josephine Stephenson (née en 1990) et la librettiste Marion Pellissier. Un opéra qui parle aux jeunes, portant un récit d'aujourd'hui écrit par l'une des compositrices les plus fascinantes de la nouvelle génération.

Dans son passage à l’âge adulte, Narcisse est exposé au succès à travers les médias et les réseaux sociaux. Dans sa solitude, le jeune homme se parle à lui-même, partagé entre le souci permanent d’être à la hauteur de la perfection de son double social et l’isolement dans lequel cet avatar le plonge. Sur son chemin, Narcisse rencontre Chloé dont le chant semble être sans cesse une ritournelle des incertitudes de Narcisse, de son envie soudaine de disparaître.

Le mythe de Narcisse

 

 

Pour en savoir plus

Narcisse dans l'art

Titre
En peinture et art textile
Contenus

Narcisse, huile sur toile attribuée au Caravage, supposé vers 1598-1599

Pour en savoir plus

  • Gallerie Nazionali Barberini Corsini, Portail des collections, Narcisse
  • Podcast de France culture, série "Des oeuvres à voir (au moins) une fois dans sa vie", épisode sur Caravage, Narcisse

Narcisse, tapisserie, vers 1500

Pour en savoir plus

  • Museum of Fine Arts Boston, Portail des collections, Narcissus

Echo et Narcisse, huile sur toile de Nicolas Poussin, vers 1629

Pour en savoir plus

Métamorphose de Narcisse, huile sur toile de Salvador Dali, 1937

Pour en savoir plus

Legende
©Gallerie Nazionali Barberini Corsini
Legende
©Musée du Louvre
Legende
©Tate Britain
Titre
En musique
Contenus

Six métamorphoses d'après Ovide, op. 49pour hautbois solo, composée par Benjamin Britten, 1951

Chaque pièce évoque un personnage de la mythologie grecque, son histoire. Celle concernant Narcisse est la cinquième, intitulée Narcissus « qui tomba amoureux de sa propre image et devint une fleur »

Pour en savoir plus :

  • Centre de ressources de l'IRCAM
  • France musique concerts, Britten : Six Métamorphoses d’après Ovide, op. 49 (extraits)

La Cantate du Narcisse, de Germaine Tailleferre, composée en 1938, créée en 1942, sur un livret de Paul Valéry

Pour en savoir plus :

Titre
En littérature
Contenus

IX

NARCISSE PARLE

Narcissae placandis manibus

 

O frères ! tristes lys, je languis de beauté

Pour m'être désiré dans votre nudité,

Et vers vous, Nymphes ! nymphes, nymphes des fontaines

Je viens au pur silence offrir mes larmes vaines.

 

Un grand calme m'écoute, où j'écoute l'espoir.

La voix des sources change et me parle du soir ;

J'entends l'herbe d'argent grandir dans l'ombre sainte,

Et la lune perfide élève son miroir

Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte.

 

Et moi ! de tout mon corps dans ces roseaux jeté,

Je languis, ô saphir, par ma triste beauté !

Je ne sais plus aimer que l'eau magicienne

Où j'oubliai le rire et la rose ancienne.

 

Que je déplore ton éclat fatal et pur,

Si mollement de moi fontaine environnée,

Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur

Mon image de fleurs humides couronnée.

 

Hélas ! L'image est vaine et les pleurs éternels !

A travers les bois bleus et les bras fraternels,

Une tendre lueur d'heure ambigüe existe,

Et d'un reste du jour me forme un fiancé

Nu, sur la place pâle où m'attire l'eau triste...

Délicieux démon, désirable et glacé !

 

Voici dans l'eau ma chair de lune et de rosée,

O forme obéissante à mes voeux opposée !

Voici mes bras d'argent dont les gestes sont purs !...

Mes lentes mains dans l'or adorable se lassent

D'appeler ce captif que les feuilles enlacent,

Et je crie aux échos les noms des dieux obscurs !...

 

Adieu, reflet perdu sur l'onde calme et close,

Narcisse... ce nom même est un tendre parfum

Au coeur suave. Effeuille aux mânes du défunt

Sur ce vide tombeau la funérale rose.

 

Sois, ma lèvre, la rose effeuillant le baiser

Qui fasse un spectre cher lentement s'apaiser,

Car la nuit parle à demi-voix, proche et lointaine,

Aux calices pleins d'ombre et de sommeils légers.

Mais la lune s'amuse aux myrtes allongés.

 

Je t'adore, sous ces myrtes, ô l'incertaine,

Chair pour la solitude éclose tristement

Qui se mire dans le miroir au bois dormant.

Je me délie en vain de ta présence douce,

L'heure menteuse est molle aux membres sur la mousse

Et d'un sombre délice enfile le vent profond.

 

Adieu, Narcisse... meurs ! Voici le crépuscule.

Au soupir de mon coeur mon apparence ondule,

La flûte, par l'azur enseveli module

Des regrets de troupeaux sonores qui s'en vont.

 

Mais sur le froid mortel où l'étoile s'allume,

Avant qu'un lent ombeau ne se forme de brume,

Tiens ce baiser qui brise un calme d'eau fatal.

 

L'espoir seul peut suffire à rompre ce cristal.

La ride me ravisse au souffle qui m'exile

Et que mon souffle anime une flûte gracile

Dont le joueur léger me serait indulgent !...

 

Evanouissez-vous, divinité troublée !

Et toi, verse pour la lune, flûte isolée

Une diversité de nos larmes d'argent.

 

Narcisse parle, Paul Valery, 1892

 

Pour en savoir plus :

FRAGMENTS DU NARCISSE

I

Cur aliquid vidi ?

 

Que tu brilles enfin, terme pur de ma course !

 

Ce soir, comme d'un cerf, la fuite vers la source

Ne cesse qu'il ne tombe au milieu des roseaux,

Ma soif me vient abattre au bord même des eaux.

Mais, pour désaltérer cette amour curieuse,

Je ne troublerai pas l'onde mystérieuse :

Nymphes ! si vous m'aimez, il faut toujours dormir !

La moindre âme dans l'air vous fait toutes frémir ;

Même, dans sa faiblesse, aux ombres échappée,

Si la feuille éperdue effleure la napée,

Elle suffit à rompre un univers dormant...

Votre sommeil importe à mon enchantement,

Il craint jusqu'au frisson d'une plume qui plonge !

Gardez-moi longuement ce visage pour songe

Qu'une absence divine est seule à concevoir !

Sommeil des nymphes, ciel, ne cessez de me voir !

Rêvez, rêvez de moi !... Sans vous, belles fontaines,

Ma beauté, ma douleur, me seraient incertaines.

Je chercherais en vain ce que j'ai de plus cher,

Sa tendresse confuse étonnerait ma chair,

Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes,

A d'autres que moi-même adresseraient leurs larmes...

 

Vous attendiez, peut-être, un visage sans pleurs,

Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs,

Et de l'incorruptible attitude hantées,

Ô Nymphes !... Mais docile aux pentes enchantées

Qui me firent vers vous d'invincibles chemins,

Souffrez ce beau reflet des désordres humains !

 

Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes !

Je suis seul !... Si les Dieux les échos et les ondes

Et si tant de soupirs permettent qu'on le soit !

Seul !... mais encor celui qui s'approche de soi

Quand il s'approche aux bords que bénit ce feuillage...

Des cimes, l'air déjà cesse le pur pillage ;

La voix des sources change, et me parle du soir ;

Un grand calme m'écoute, où j'écoute l'espoir.

J'entends l'herbe des nuits croître dans l'ombre sainte,

Et la lune perfide élève son miroir

Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte...

Jusque dans les secrets que je crains de savoir,

Jusque dans le repli de l'amour de soi-même,

Rien ne peut échapper au silence du soir...

La nuit vient sur ma chair lui souffler que je l'aime.

Sa voix fraîche à mes voeux tremble de consentir ;

A peine, dans la brise, elle semble mentir,

Tant le frémissement de son temple tacite

Conspire au spacieux silence d'un tel site.

 

Ô douceur de survivre à la force du jour,

Quand elle se retire enfin rose d'amour,

Encore un peu brûlante, et lasse, mais comblée,

Et de tant de trésors tendrement accablée

Par de tels souvenirs qu'ils empourprent sa mort,

Et qu'ils la font heureuse agenouiller dans l'or,

Puis s'étendre, se fondre, et perdre sa vendange,

Et s'éteindre en un songe en qui le soir se change.

Quelle perte en soi-même offre un si calme lieu !

L'âme, jusqu'à périr, s'y penche pour un Dieu

Qu'elle demande à l'onde, onde déserte, et digne

Sur son lustre, du lisse effacement d'un cygne...

A cette onde jamais ne burent les troupeaux !

D'autres, ici perdus, trouveraient le repos,

Et dans la sombre terre, un clair tombeau qui s'ouvre...

Mais ce n'est pas le calme, hélas ! que j'y découvre !

Quand l'opaque délice où dort cette clarté,

Cède à mon corps l'horreur du feuillage écarté,

Alors, vainqueur de l'ombre, ô mon corps tyrannique,

Repoussant aux forêts leur épaisseur panique,

Tu regrettes bientôt leur éternelle nuit !

Pour l'inquiet Narcisse, il n'est ici qu'ennui !

Tout m'appelle et m'enchaîne à la chair lumineuse

Que m'oppose des eaux la paix vertigineuse !

 

Que je déplore ton éclat fatal et pur,

Si mollement de moi, fontaine environnée,

Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur,

Les yeux mêmes et noirs de leur âme étonnée !

 

Profondeur, profondeur, songes qui me voyez,

Comme ils verraient une autre vie,

Dites, ne suis-je pas celui que vous croyez,

Votre corps vous fait-il envie ?

 

Cessez, sombres esprits, cet ouvrage anxieux

Qui se fait dans l'âme qui veille ;

Ne cherchez pas en vous, n'allez surprendre aux cieux

Le malheur d'être une merveille :

Trouvez dans la fontaine un corps délicieux...

Prenant à vos regards cette parfaite proie,

Du monstre de s'aimer faites-vous un captif ;

Dans les errants filets de vos longs cils de soir

Son gracieux éclat vous retienne pensif ;

 

Mais ne vous flattez pas de le changer d'empire.

Ce cristal est son vrai séjour ;

Les efforts mêmes de l'amour

Ne le sauraient de l'onde extraire qu'il n'expire...

 

PIRE.

Pire ?...

Quelqu'un redit Pire... Ô moqueur !

Echo lointaine est prompte à rendre son oracle !

De son rire enchanté, le roc brise mon coeur,

Et le silence, par miracle,

Cesse !... parle, renaît, sur la face des eaux...

Pire ?...

Pire destin !... Vous le dites, roseaux,

Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde !

Antres, qui me rendez mon âme plus profonde,

Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt...

Vous me le murmurez, ramures !... Ô rumeur

Déchirante, et docile aux souffles sans figure,

Votre or léger s'agite, et joue avec l'augure...

Tout se mêle de moi, brutes divinités !

Mes secrets dans les airs sonnent ébruités,

Le roc rit ; l'arbre pleure ; et par sa voix charmante,

Je ne puis jusqu'aux cieux que je ne me lamente

D'appartenir sans force d'éternels attraits !

Hélas ! entre les bras qui naissent des forêts,

Une tendre lueur d'heure ambigüe existe...

Là, d'un reste du jour, se forme un fiancé,

Nu, sur la place pâle où m'attire l'eau triste,

Délicieux démon désirable et glacé !

 

Te voici, mon doux corps de lune et de rosée,

Ô forme obéissante à mes voeux opposée !

Qu'ils sont beaux, de mes bras les dons vastes et vains !

Mes lentes mains, dans l'or adorable se lassent

D'appeler ce captif que les feuilles enlacent ;

Mon coeur jette aux échos l'éclat des noms divins

 

Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème !

 

Ô semblable !... Et pourtant plus parfait que moi-même,

Ephémère immortel, si clair devant mes yeux,

Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux,

Faut-il qu'à peine aimés, l'ombre les obscurcisse,

Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse,

Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit !

Qu’as-tu ?

Ma plainte même est funeste ?...

Le bruit

Du souffle que j'enseigne à tes lèvres, mon double,

Sur la limpide lame a fait courir un trouble !...

Tu trembles !... Mais ces mots que j'expire à genoux

Ne sont pourtant qu'une âme hésitante entre nous,

Entre ce front si pur et ma lourde mémoire...

Je suis si près de toi que je pourrais te boire,

Ô visage !... Ma soif est un esclave nu...

Jusqu'à ce temps charmant je m'étais inconnu,

Et je ne savais pas me chérir et me joindre !

Mais te voir, cher esclave, obéir à la moindre

Des ombres dans mon coeur se fuyant à regret,

Voir sur mon front l'orage et les feux d'un secret,

Voir, ô merveille, voir ! ma bouche nuancée

Trahir... peindre sur l'onde une fleur de pensée,

Et quels événements étinceler dans l'oeil !

J'y trouve un tel trésor d'impuissance et d'orgueil,

Que nulle vierge enfant échappée au satyre,

Nulle ! aux fuites habiles, aux chutes sans émoi,

Nulle des nymphes, nulle amie, ne m'attire

Comme tu fais sur l'onde, inépuisable Moi !...

 

II

Fontaine, ma fontaine, eau froidement présente,

Douce aux purs animaux, aux humains complaisante

Qui d'eux-mêmes tentés suivent au fond la mort,

Tout est songe pour toi, Soeur tranquille du Sort !

A peine en souvenir change-t-il un présage,

Que pareille sans cesse à son fuyant visage,

Sitôt de ton sommeil les cieux te sont ravis !

Mais si pure tu sois des êtres que tu vis,

Onde, sur qui les ans passent comme les nues,

Que de choses pourtant doivent t'être connues,

Astres, roses, saisons, les corps et leurs amours !

Claire, mais si profonde, une nymphe toujours

Effleurée, et vivant de tout ce qui l'approche,

Nourrit quelque sagesse à l'abri de sa roche,

A l'ombre de ce jour qu'elle peint sous les bois.

Elle sait à jamais les choses d'une fois...

Ô présence pensive, eau calme qui recueilles

Tout un sombre trésor de fables et de feuilles,

L'oiseau mort, le fruit mûr, lentement descendus,

Et les rares lueurs des clairs anneaux perdus.

Tu consommes en toi leur perte solennelle ;

Mais, sur la pureté de ta face éternelle,

L'amour passe et périt...

Quand le feuillage épars

Tremble, commence à fuir, pleure de toutes parts,

Tu vois du sombre amour s'y mêler la tourment,

L'amant brûlant et dur ceindre la blanche amante,

Vaincre l'âme... Et tu sais selon quelle douceur

Sa main puissante passe à travers l'épaisseur

Des tresses que répand la nuque précieuse,

S'y repose, et se sent forte et mystérieuse ;

Elle parle à l'épaule et règne sur la chair.

Alors les yeux fermés à l'éternel éther

Ne voient plus que le sang qui dore leurs paupières ;

Sa pourpre redoutable obscurcit les lumières

D'un couple aux pieds confus qui se mêle, et se ment.

Ils gémissent... La Terre appelle doucement

Ces grands corps chancelants, qui luttent bouche à bouche,

Et qui, du vierge sable osant battre la couche,

Composeront d'amour un monstre qui se meurt...

Leurs souffles ne font plus qu'une heureuse rumeur,

L'âme croit respirer l'âme toute prochaine,

Mais tu sais mieux que moi, vénérable fontaine,

Quels fruits forment toujours ces moments enchantés !

Car, à peine les coeurs calmes et contetés

D'une ardente alliance expirée en délices,

Des amants détachés tu mires les malices,

Tu vois poindre des jours de mensonges tissus,

Et naître mille maux trop tendrement conçus !

Bientôt, mon onde sage, infidèle et la même,

Le Temps mène ces fous qui crurent que l'on aime

Redire à tes roseaux de plus profonds soupirs !

Vers toi, leurs tristes pas suivent leurs souvenirs...

Sur tes bords, accablés d'ombres et de faiblesse,

Tout éblouis d'un ciel dont la beauté les blesse

Tant il garde l'éclat de leurs jours les plus beaux,

Ils vont des biens perdus trouver tous les tombeaux...

"Cette place dans l'ombre était tranquille et nôtre !"

"L'autre aimait ce cyprès, se dit le coeur de l'autre,

"Et d'ici, nous goûtions le souffle de la mer !"

Hélas ! la rose même est amère dans l'air...

Moins amers que les parfums des suprêmes fumées

Qu'abandonnent au vent les feuilles consumées !...

Ils respirent ce vent, marchent sans le savoir,

Foulent aux pieds le temps d'un jour de désespoir...

Ô marche lente, prompte, et pareille aux pensées

Qui parlent tour à tour aux têtes insensées !

La caresse et le meurtre hésitent dans leurs mains,

Leur coeur, qui croit se rompre au détour des chemins,

Lutte, et retient à soi son espérance étreinte.

Mais leurs esprits perdus courent ce labyrinthe

Où s'égare celui qui maudit le soleil !

Leur folle solitude, à l'égal du sommeil,

Peuple et trompe l'absence : et leur secrète oreille

Partout place une voix qui n'a point de pareille.

Rien ne peut dissiper leurs songes absolus ;

Le soleil ne peux rien contre ce qui n'est plus !

Mais s'ils traînent dans l'or leurs yeux secs et funèbres,

Ils se sentent des pleurs défendre leurs ténèbres

Plus chères à jamais que tous les feux du jour !

Et dans ce corps caché tout marqué de l'amour

Que porte amèrement l'âme qui fut heureuse,

Brûle un secret baiser qui la rend furieuse...

 

Mais moi, Narcisse aimé, je ne curieux

Que de ma seule essence ;

Tout autre n'a pour moi qu'un coeur mystérieux,

Tout autre n'est qu'absence.

Ô mon bien souverain, cher corps, je n'ai que toi !

Le plus beau des mortels ne peut chérir que soi...

Douce et dorée, est-il une idole plus sainte,

De toute une forêt qui se consume, ceinte,

Et sise, dans l'azur vivant par tant d'oiseaux ?

Est-il don plus divin de la faveur des eaux,

Et d'un jour qui se meurt plus adorable usage

Que de rendre à mes yeux l'honneur de mon visage ?

Naisse donc entre nous que la lumière unit

De grâce et de silence un échange infini !

Je vous salue, enfant de mon âme et de l'onde,

Cher trésor d'un miroir qui partage le monde !

Ma tendresse y vient boire, et s'enivre de voir

Un désir sur soi-même essayer son pouvoir !

Ô qu'à tous mes souhaits, que vous êtes semblable !

Mais la fragilité vous fait inviolable,

Vous n'êtes que lumière, adorable moitié

D'une amour trop pareille à la faible amitié !

Hélas ! la nymphe même a séparé nos charmes !

Puis-je espérer de toi que de vaines alarmes ?

Qu'ils sont doux les périls que nous pourrions choisir !

Se surprendre soi-même et soi-même saisir,

Nos mains s'entremêler, nos maux s'entre-détruire,

Nos silences longtemps de leurs songes s'instruire,

La même nuit en pleurs confondre nos yeux clos,

Et nos bras refermés sur les mêmes sanglots

Etreindre un même coeur, d'amour prêt à se fondre...

Quitte enfin le silence, ose enfin me répondre,

Bel et cruel Narcisse, inaccessible enfant,

Tout orné de mes biens que la nymphe défend...

 

III

... Ce corps si pur, sait-il qu'il me puisse séduire ?

De quelle profondeur songes-tu de m'instruire,

Habitant de l'abîme, hôte si précieux

D'un ciel sombre ici-bas précipité des cieux ?

Ô le frais ornement de ma triste tendance

Qu'un sourire si proche, et plein de confidence,

Et qui prête à ma lèvre une ombre de danger

Jusqu'à me faire craindre un désir étranger !

Quel souffle vient à l'onde offrir ta froide rose !...

"J'aime... J'aime !..." Et qui donc peut aimer autre chose

Que soi-même ?...

Toi seul, ô mon corps, mon cher corps,

Je t'aime, unique objet qui me défends des morts.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Formons, toi sur ma lèvre, et moi, dans mon silence,

Une prière aux dieux qu'émus de tant d'amour

Sur sa pente de pourpre ils arrêtent le jour !...

Faites, Maîtres heureux, Pères des justes fraudes,

Dites qu'une lueur de rose ou d'émeraudes

Que des songes du soir votre sceptre reprit,

Pure, et toute pareille au plus pur de l'esprit,

Attende, au sein des cieux, que tu vives et veuilles,

Près de moi, mon amour, choisir un lit de feuilles,

Sortir tremblant du flanc de la nymphe au coeur froid,

Et sans quitter mes yeux, sans cesser d'être moi,

Tendre ta forme fraîche, et cette claire écorce...

Oh ! te saisir enfin !... Prendre ce calme torse

Plus pur que d'une femme et non formé de fruits...

Mais, d'une pierre simple est le temple où je suis,

Où je vis... Car je vis sur tes lèvres avares !...

Ô mon corps, mon cher corps, temple qui me sépares

De ma divinité, je voudrais apaiser

Votre bouche... Et bientôt, je briserais, baiser,

Ce peu qui nous défend de l'extrême existence,

Cette tremblante, frêle, et pieuse distance

Entre moi-même et l'onde, et mon âme, et les dieux !

Adieu... Sens-tu frémir mille flottants adieux ?

Bientôt va frissonner le désordre des ombres !

L'arbre aveugle vers l'arbre étend ses membres sombres,

Et cherche affreusement l'arbre qui disparaît...

Mon âme ainsi se perd dans sa propre forêt,

Où la puissance échappe à ses formes suprêmes...

L'âme, l'âme aux yeux noirs, touche aux ténèbres mêmes,

Elle se fait immense et ne rencontre rien...

Entre la mort et soi, quel regard est le sien !

 

Dieux ! de l'auguste jour, le pâle et tendre reste

Va des jours consumés joindre le sort funeste ;

Il s'abîme aux enfers du profond souvenir !

Hélas ! corps misérable, il est temps de s'unir...

Penche-toi... Baise-toi. Tremble de tout ton être !

L'insaisissable amour que tu me vins promettre

Passe, et dans un frisson, brise Narcisse, et fuit...

 

Fragments du Narcisse, Paul Valery, 1919-1922

 

 

L'équipe artistique

Titre
Distribution
Contenus
Marion Pellissier

>Biographie<

Emmanuel Olivier, directeur musical
Titre
Les solistes
Contenus
Benoît Rameau, Narcisse

>Biographie<

Apolline Raï-Westphal, Chloé

>Biographie<

Titre
Les instrumentistes
Contenus
Emmanuel Olivier, claviers
Juliette Herbet, saxophones et contrebasse

>Biographie<

Documents en +

Certaines ressources sont déjà disponibles sur notre site internet. Vous pouvez les retrouver sur la page du spectacle Narcisse : teasers, photographies, coin presse.

Pour accompagner ces éléments d'autres ressources peuvent vous être communiquées pour approfondir votre découverte tels

Retrouvez aussi :

  • la page dédiée au spectacle sur le site de l'Arcal Lyrique pour Narcisse
  • un fichier de ressources supplémentaire préparé par la professeure-relais de l'Opéra de Rennes, Anne-Hélène Dosi-Goude, à retrouver sous format padlet en cliquant ici.